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De l’INA (1969) à l’ENSA (2016) – L’itinéraire d’un prêtre « botaniste »

Prêtre « Fidei Donum », j’étais envoyé en Algérie par l’Evêque d’Autun en 1969… En Algérie, c’était l’époque des grands projets du Président Boumediene, dont la Révolution Agraire. Aussi, les Responsables de l’Eglise d’Alger m’invitèrent fermement à me former à un métier. Ils avaient choisi l’INA (Institut National d’Agronomie). Dans la section « Phytotechnie », je contractais un premier virus : intérêt pour les diverses cultures et ce qu’on nommait à tort « les mauvaises herbes », objet de la malherbologie… Nanti du diplôme d’agronome, je dépendais désormais des autorités algériennes. Elles me proposèrent entre autres Annaba. Ce qui faisait dire au Père Scotto, alors évêque de Constantine : « Ce n’est pas moi qui nomme mes prêtres à un poste, mais l’Algérie ».

Une fois agronome à Annaba, où j’appris l’essentiel du terrain grâce aux fellahs des domaines autogérés. Du coup, le virus prit de l’ampleur et je voulus savoir quelles étaient ces « mauvaises herbes » et les nommer en langage scientifique… Déjà, je pouvais les nommer en arabe à l’écoute des paysans de la plaine d’Annaba…


Une sortie botanique à proximité d’El Aïoun).

De fil en aiguille, mes responsables et amis algériens m’ont suggéré de préparer d’autres diplômes. Et je me retrouvais enseignant à l’Université. Divers modules m’ont été dévolus, dont la Botanique. Du coup, il ne s’agissait plus de « malherbologie », mais d’une science, qui prenait chaque espèce au sérieux. Comment la partager aux étudiants de manière attrayante ? Donner une dimension historique à cette science, dont les racines ont près de 3 milliards et demi d’années. Mais aussi, leur faire découvrir la biodiversité floristique de leur région, nommée Numidie. L’un des objectifs se réalisait dans les cours, l’autre dans des sorties sur le terrain ou lors des TP avec mes collaboratrices. Le sérieux était de mise avec, à la fin de ma « carrière », plus de 300 étudiants !

C’est pourquoi, le virus continuant son œuvre, il est devenu maladie… et maladie contagieuse… Nombre d’ami(e)s se sont joints aux étudiants à l’occasion des sorties, désirant, à leur tour, partager ce plaisir de la découverte.

Et, bientôt, ce fut au tour d’Universitaires d’autres pays à s’intéresser à la flore de Numidie, puis des Aurès, puis de Kabylie… Un véritable réseau de passionné(e)s s’est constitué entre les pays du Maghreb et l’Europe du Sud. Il a pris nom aujourd’hui, grâce à un ami de l’Université de Montpellier : afrique-du-nord@tela-botanica. De plus, ce fut l’occasion de partager nos découvertes dans des ateliers (workshops), sous l’égide de l’IUCN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) en Tunisie, au Maroc ou au Portugal

 
Une « clandestine », inconnue au Maghreb : le petit Nénuphar pelté ou une endémique algéro-tunisienne, en voie de disparition : le Serapias aux pétales étroits, dont la reproduction figure désormais dans une publication de l’IUCN (p.81), comme un symbole d’élégance.

Toutes ces rencontres avaient besoin d’un objet à contempler, à examiner, à analyser, à authentifier. C’est pourquoi, peu à peu, j’ai constitué un herbier tout au long de ces années, dont la nomenclature a été passée au crible des compétences universitaires de divers pays, dont l’ami cité plus haut. Un autre ami, biométricien de Lyon cette fois-ci, m’invita à créer un site sur internet. Lui l’imagina avec ses compétences, accumulées lors de ses travaux universitaires.


Une planche d’herbier : la Bruyère de Numidie, une endémique algérienne

Or, la vie est courte (il fallait compter avec mon grand âge !) et l’herbier prenait des proportions telles qu’il envahissait mon logement. Devais-je en faire un autodafé ? Nombre d’amis et collègues m’en dissuadèrent, malgré son imperfection… Déjà, lors du Centenaire de l’INA (1905-2005), le chef de département m’avait proposé de léguer mon herbier à l’Institut. Le méritait-il ? En tout cas, l’idée fit son chemin. Nombre d’anciens collègues et d’ami(e)s ont œuvré en ce sens, dont Salima et bien d’autres… N’était-ce pas reconnaître : vivre jusqu’au bout une solidarité, qui ne s’est jamais démentie avec mes collègues algériens et, notamment, celles et ceux de l’INA ? La salle d’herbier fut remise à neuf. Déjà, 20 000  planches d’herbier s’y trouvaient, suivies près d’un demi-siècle par le regretté A. Beloued, et méritaient d’être conservées et saisies sur ordinateur…

Ce qui fut dit fut fait.

L’occasion de la remise de ce legs choisi a été « Youm El Ilm » (17-18 avril 2016). L’option pour cette date était celle du Directeur de l’ENSA, qui m’invita « officiellement » : un choix judicieux, en intégrant cette opération dans les « Journées scientifiques 2016 » de l’Institut. Un collègue, Slim, eut l’amabilité d’assurer le transport d’Annaba à Alger de près de 150 kg de boîtes d’herbier (5 550 exsiccata = plantes desséchées) ; nous étions accompagnés de Salima, venue tout exprès d’Alger et cheville ouvrière de cette opération.

Lors du 17 avril, à la suite d’un ensemble d’interventions des Responsables de l’ENSA, je suis intervenu à l’aide d’un diaporama, intitulé « Un herbier : une aventure humaine ? ». Tout l’auditoire, présent dans l’amphi même, où naguère j’avais suivi, durant 4 ans, les cours de mes enseignants, se rassembla après dans la salle d’herbier flambant neuf (cf. image d’une partie de l’herbier à l’ENSA). Un vrai moment de convivialité, où j’ouvris une « boîte » de mon herbier dans une atmosphère joyeuse, tandis que se multipliaient les flashes.


L’équipe d’accueil de la salle de l'herbier (Cliché de Mme Farida Khammar).

Quelqu’un a écrit : « Les uns créent la beauté, d’autres plus modestement la révèlent ». Appartenant à la seconde catégorie, quel bonheur de partager ce plaisir aussi bien avec les universitaires : Souk-Ahras, Batna, Oran, Oum el Bouaghi, Bejaïa, Annaba… qu’avec les communautés de notre Eglise : Oran, Mascara, Alger, Constantine… !

Ce legs n’est qu’une petite pierre dans l’édifice botanique algérien et sa biodiversité en solidarité avec les universitaires d’Algérie.

En conclusion, je ne peux que souscrire à cette remarque du Pape François (enc. Laudato Si, § 33):

« L’immense majorité (des espèces végétales et animales) disparaît pour des raisons qui tiennent à une action humaine. À cause de nous, des milliers d’espèces ne rendront plus gloire à Dieu par leur existence et ne pourront plus nous communiquer leur propre message. Nous n’en avons pas le droit ».

Gérard de Bélair

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